La tristesse (acte 1) 5/10

Malheureusement pour moi, aujourd’hui marque le septantième anniversaire de Lucas, mon grand-père. Cet homme est tout pour moi. À la mort de mes parents il y a presque dix ans, il m’a recueilli et m’a élevé. Avec lui, j’ai tout vécu et je lui dois tout.

Je détourne finalement le regard de cette foule, pourtant toujours aussi impressionnante malgré le code démographique et je me dirige vers la penderie ou je m’habille rapidement.

Je rejoins la pièce à vivre où mon grand-père est déjà assis, un bol de café à la main.

—Te voilà enfin, me lance-t-il comme si tout était normal.

—Tu sais, ce matin je ne suis pas tellement pressé de commencer la journée. Je n'ai même pas envie d'aller à la salle.

—Comment ça ? Je croyais que tu adorais y passer du temps ? À chaque fois que je te cherche, tu peux être sûr que je te trouverai là-bas.

—Oui, mais aujourd’hui, m’y rendre me rapprochera un peu plus de l’inévitable.

—Ah, encore ça, dit-il en reportant son attention sur le contenu de son assiette.

—Bizarrement, j’ai de la peine à me dire que demain tu ne seras plus là !

—Mais c’est pourtant la vie mon petit Daniel. Et tu as de la chance de m’avoir eu jusque-là. Ce n’est pas le cas de tout le monde. Certaines personnes sont seules depuis toujours !

—Et alors ? Regarde-toi. Tu es en parfaite santé. Tu pètes le feu et malgré tout, ce soir… je commence à dire avant de m’arrêter en pleine phrase, le cœur gros.

—Daniel, je t’ai déjà expliqué que c’est pour le bien de tous. Cette loi est la meilleure chose qui soit arrivée à l’humanité. Il y a trente ans, j’ai milité pour qu’elle soit appliquée, tout en sachant que ça condamnait mes parents à n’avoir plus que deux ans à vivre et ils ne m’en ont par voulu. Il y avait même beaucoup de seniors qui étaient favorables à cette limite d’âge. Tu dois te rendre compte que nous n’avions plus rien à manger. L’avenir semblait funeste si nous ne faisions pas quelque chose rapidement.