LA JALOUSIE 3/13

Ils atterrirent dans une petite ville ou ils ne connaissaient personne, mais cela leur importait peu. Tant qu’ils étaient ensemble, rien ne pouvait leur arriver. C’est en tout cas ce qu’ils pensaient.

Kilian était heureux. Il faisait enfin le travail qu’il souhaitait et il était accompagné par la femme dont il était un peu plus amoureux chaque jour. En revanche, Alice s’ennuyait ferme. En quittant sa ville natale, elle avait laissé sa vie derrière elle pour suivre son conjoint. Envolé famille, amis et aussi et surtout emploi ! Elle ne s’était pas doutée que ce serait autant difficile de retrouver un job à son âge. À vingt-six ans, on est pourtant dans la tranche parfaite, sauf pour une femme. Elle avait multiplié les entretiens d’embauche et à chaque fois Alice ressortait avec le même pincement au cœur. Les recruteurs n’étaient pas fous. Il leur suffisait d’ouvrir son dossier et de lui poser une question pour annihiler presque toutes ses chances. « Est-ce que vous êtes en couple ? Et si c’est le cas, avez-vous le projet de fonder une famille ? ». La jeune femme en avait même pleuré. Elle avait trop honte pour en parler à Kilian, mais cette injustice la rongeait. Elle avait toujours été féministe, n’hésitant pas à défiler pour réclamer l’égalité des sexes, visiblement sans conséquence. Alice avait essayé de se tourner vers des organisations pour se défendre, mais ils n’avaient rien fait pour l’aider. Selon eux, la maternité est une décision personnelle. « De toute façon, à un moment il faudra faire un choix entre carrière et famille ». Pendant quatre mois, elle avait mal vécu ce qui devait être un nouveau départ pour eux. Puis un jour, alors qu’elle attendait son traditionnel rendez-vous avec sa conseillère d’orientation, elle rencontra Joël. Ils avaient tout de suite bien accroché. Il venait également de débarquer en ville avec sa compagne et comme Alice, il ne se sentait pas très à l’aise dans ce nouvel environnement. Après leurs obligations, ils s’étaient retrouvés dans un café ou ils avaient refait le monde pendant plusieurs heures. Le temps semblait s’être arrêté autour d’eux, et ni la nuit tombante ni leurs portables vibrant à tour de rôle ne réussirent à les faire revenir à la réalité. Alice et Joël ne répondirent pas aux multiples appels de leurs conjoints, préférant profiter du seul moment agréable qu’ils avaient passé depuis bien longtemps.